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Mot du commissaire
Si petits entre les étoiles, si grands contre le ciel
Le titre Si petits entre les étoiles, si grands contre le ciel* paraphrase les paroles d’une chanson de Leonard Cohen (Stories of The Street, 1967). Tout au long de sa vie, cet extraordinaire poète et musicien originaire du Québec était préoccupé par notre place dans l’ordre naturel. Du point de vue de Cohen, nos réalisations culturelles doivent être considérées dans le contexte d’une image universelle beaucoup plus large qui remet en question les idées reçues selon lesquelles l’art serait transcendant ou du moins une amélioration par rapport à ce que l’on trouve dans la nature. Dans une chanson ultérieure, The Future (1992), il n’aurait pu être plus clair :
Prenez l’unique arbre qui reste
et enfoncez-le dans le trou
de votre culture.
L’art, ici, s’entend moins comme « beauté et vérité » immuables que comme institution par trop humaine, et humanité (malgré de fréquentes prétentions à l’exceptionnalisme) comme phénomène naturel. Ainsi, cette édition de la biennale met l’accent sur les continuités entre l’art et la vie quotidienne, peu importe où et comment on les expérimente. La proposition est donc plus philosophique qu’écologique, mais devant l’évidence scientifique concernant les changements climatiques causés par l’activité humaine, le sujet de l’environnement est incontournable.
Cette édition de la biennale sera un grand festival d’art contemporain qui mobilisera divers lieux d’expositions, galeries, musées et espaces publics de la vieille capitale. À la vingtaine d’artistes canadiens participants, principalement de la ville et de la province de Québec, se joindra un nombre équivalent d’artistes internationaux de divers horizons, allant de l’Argentine au Japon, de l’Angola aux pays scandinaves. Afin de témoigner de l’exceptionnelle liberté de l’art contemporain, l’événement englobera une grande variété de formes d’expression – film et vidéo, art sonore, performance, gravure, photographie, métiers d’art, incluant céramique et tissage, de même que peinture, sculpture et installation – entre autres grâce au réseau unique de centres d’artistes autogérés de la ville. Et comme la biennale enjambe les saisons, les œuvres présentées à l’extérieur pourront tirer le meilleur parti de la transition entre l’hiver et le printemps.
L’édition 2019 de la biennale de la ville de Québec ne se veut ni didactique ni expressément thématique. Notre expérience en tant que partie intégrante du monde naturel peut être littéralement formidable, ce qui correspond à la notion phénoménologique de « ce qui est en cause » et à une abstraction essentielle qui est bien vivante dans l’art contemporain. Autrement dit, la réponse artistique aux étoiles et au ciel (de même qu’aux rivières, aux chutes et aux havres glacés) a moins à voir avec la représentation qu’avec l’appréhension de l’endroit où nous sommes, contre et entre les énormités souvent tenues pour acquises. Dans cet esprit, la participation d’artistes autochtones (notamment des Premières Nations et Samis) – dont les peuples ont occupé le territoire avant la construction des villes – est très pertinente, et elle contribuera à nous sensibiliser au fait que notre regard sur les choses, tout comme notre système de valeur, est le fruit de notre culture.
Jonathan Watkins
Commissaire de Manif d’art 9
— La biennale de Québec
* STORIES OF THE STREET BY LEONARD COHEN. COPYRIGHT © 1993, LEONARD COHEN, USED BY PERMISSION OF THE WYLIE AGENCY (UK) LIMITED