Entretien avec Annabelle Vieux Francoeur, jeune commissaire

La commande en toute simplicité : réaliser une entrevue avec une jeune commissaire prenant part à Manif d’art, à Québec. Mon choix se porte sur l’historienne de l’art Annabelle Vieux Francoeur. En cours de rédaction, un ton plus poétique s’impose… 

 

Ma rencontre avec Annabelle Vieux Francoeur se déroule virtuellement. Elle s’enquiert de mes impressions sur les œuvres d’Anouk Desloges et de Laurence Dauphinais. Je lui fais part de mon expérience, constate qu’Annabelle a l’oreille attentive. L’exposition Double met en scène quatre artistes (Mathilde Bois, Gabrielle Brochu, Laurence Dauphinais, Anouk Desloges) dans quatre bibliothèques de Québec. Cette exposition s’insère dans le volet Jeunes commissaires de Manif d’art 10 qui permet à de jeunes historien.ne.s de l’art de se professionnaliser, d’acquérir une expérience dans le domaine artistique.

 

La petite galerie se trouve au fond de la bibliothèque, près de la salle des employé.e.s. Sur fond de bruit de micro-ondes, les œuvres d’Anouk Desloges me traversent. Entre les vitraux de cette ancienne église anglicane convertie en bibliothèque publique, des œuvres aux titres amoureux : Lover #2, Lover #3, Lover #4, etc.  Ces amant.e.s prennent la forme de broderies sur film à dessin, matériau semi-transparent qui exhibe au verso des coulisses de fils multicolores. Accroché près de Lover #1, un poème : 

« Tu m’adores

Un néon ouvert comme une playlist

La promesse d’une dernière carte

Parmi sept romances

T’as oublié ma fête. »

 

L’autobus franchit la 41e avenue, monte les collines de Charlesbourg. Rendue au Trait-Carré, je perds mes repères. Avec ses espaces décloisonnés, ses vitres, la bibliothèque Paul-Aimé-Paiement est l’une des plus belles de Québec. Je demande à la commis de m’indiquer l’emplacement de la salle d’exposition. En entrant, je suis surprise par la majesté des lieux. Aux murs, des photographies de Laurence Dauphinais appartenant à la série Derrière les murs, l’horizon se rapproche. Ces autoportraits représentent la nuque, la bouche, les mains, le visage de l’artiste baigné.e.s de lumière. Bien que les œuvres évoquent le confinement, j’y perçois un propos plein d’espoir, une solitude salvatrice. Je quitte la bibliothèque, trajet inverse. Je suis prête pour ma rencontre avec Annabelle Vieux Francoeur. 

 

Bien que le contrat avec Manif d’art soit rémunéré, Annabelle Vieux Francoeur ne se considère pas comme une chargée de projet. Elle envisage le commissariat artistique comme une rencontre : « je m’entoure d’artistes ». Pour elle, le rôle d’une commissaire, c’est avant tout une réflexion de groupe. Elle présente aux artistes ses questionnements puis, en tant qu’humains, « nous cogitons ensemble » pour ensuite créer une exposition. Obtenir une réponse n’est pas une finalité. Les échanges, les réflexions entourant le projet importent autant que l’exposition à la ligne d’arrivée. Notre conversation bifurque sur les manifestations artistiques à l’extérieur des musées. « Pour l’exposition Double, se déroulant en bibliothèques, j’expose pour qui veut bien la regarder ». Elle s’adresse aux curieux.ses s’aventurant hors des rayonnages. 

 

Après un parcours en psychologie, Annabelle Vieux Francoeur entreprend des études en histoire de l’art. La relation d’aide ne l’intéressait pas, mais sonder la psyché humaine, oui.  L’histoire de l’art lui permet cette exploration. Candidate à la maîtrise dans ce domaine, elle s’intéresse à la question du sublime dans les œuvres de l’artiste québécois Patrick Bernatchez. Elle précise : elle ne travaille pas sur le sublime qui suscite la beauté, mais plutôt « le sublime qui provoque la déroute, des questionnements existentiels ». Le thème de Manif d’art 10, Les illusions sont réelles, s’est glissé naturellement dans l’équation. Pourquoi ne pas explorer la notion du double, de l’étrangeté qu’il suscite? Annabelle Vieux Francoeur fait connaissance avec trois des quatre artistes de Double (Mathilde Bois, Gabrielle Brochu, Laurence Dauphinais) lors de son passage au baccalauréat, il y a deux ans. Elle élaborait alors l’exposition Éclipse: Obscurcir, révéler présentée à l’Université Laval à l’automne 2020. Elle croise ensuite la route d’Anouk Desloges, via les réseaux sociaux. 

 

Faut-il être flâneur.se pour saisir l’art en dehors des institutions? C’est la beauté de la chose. Annabelle Vieux Francoeur : commissaire, certes, mais surtout créatrice de rencontres impromptues.

 

- Un texte d'Alix Paré-Vallerand, À l'est de vos empires.

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