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ART PUBLIC
le kaméléon
Abbas Akhavan
SANSOISEAUX, 2024, Peinture à l’eau
SANSOISEAUX se compose littéralement des deux mots du titre, peints sur la totalité du toit d’un immeuble. Ce projet active une série de contradictions. Le public n’est pas invité à monter sur le toit, l’œuvre est invisible du sol ou d’un autre bâtiment. Nous ne pouvons pas non plus la voir du ciel, les avions volant trop haut. Alors que le texte évoque la menace qui pèse sur l’espèce aviaire, il n’est lisible qu’à « vol d’oiseau ». Abbas Akhavan s’adresse aux oiseaux comme s’ils lisaient, mais c’est à nous qu’il suggère l’enjeu d’une disparition programmée : un monde sans oiseaux est un monde sans humains.
© Jean Gaboury, masian
Maison Tsawenhohi'
Alexis Gros-Louis
978-0816630288 (Deleuze), 2024
Alexis Gros-Louis construit un modèle réduit d’un bâtiment dont l’original qui domine la ville de Scarborough, reproduit une tour médiévale dans le vocabulaire de la modernité consumériste. L’artiste s’intéresse aux malentendus que produisent les rêves grandeur nature, par exemple recoudre le passé et le présent en associant progrès et rentabilité, nombreux dans le traitement prescrit à la culture des Premières Nations. Tout rêve, selon le philosophe Gilles Deleuze, renferme une terrible volonté de puissance : « Méfiez-vous du rêve des autres. » Contre le cauchemar d’une transformation de la culture en folklore, Gros-Louis prend le parti de la décroissance. Réduisant un signal urbain fort à un jouet, il le pose dans un jardin et le peint en noir.
LIEU BIENTÔT DÉVOILÉ
ANDY WARHOL
Sleep, 1963, film, 5 heures 21 min
Ce premier grand projet de film de Andy Warhol a été tourné en 1963 dans l’appartement de son amant, le poète John Giorno, en noir et blanc, avec une caméra Bolex 16 mm. Il est constitué d’un montage de plans fixes, muets, parfois dupliqués et mis en boucle. Il nous confronte à l’intimité du sommeil et, simultanément, fragmente un corps devenu parfois indéchiffrable. Sleep se voulait un « anti-film ». Il ne requiert pas une attention continue, ne propose aucune variation d’intensité ni d’action majeure. Il évoque en revanche ce que nous devenons dans les salles de cinéma, quelqu’un dont le corps est au repos et dont l’attention se porte ailleurs : dans les images en mouvement.
MANIF D'ART
christine rebet
nuit, 2023, vidéo
Christine Rebet interprète deux textes qui se répondent à distance, dans deux lieux distincts et deux œuvres autonomes. La berceuse pour adulte du musicien américain John Cage A Lullaby (1993), en anglais, est personnifiée par un cacatoès. Incarné par une chouette dans le noir, Nuit, de l’artiste libanaise Etel Adnan (2017), est en français. Les oiseaux s’animent à la lecture de textes poétiques, sans emphase, à un rythme proche de la ritournelle. Une voix nous berce. Un animal l’incarne temporairement. Deux langues, familières ou non, apportent leurs accents et leur coloration. Les infimes déplacements activés par Rebet et le regard halluciné des oiseaux nous suspendent dans l’écoute des textes.
Réalisé par Christine Rebet
Direction photographique : Samir Ramdani
Son et montage : Fabrice Gerardi
Colorisation : Federico Ricci
Mixage : Benoit Hery
Dresseurs de l’animal : Muriel Beck, Lisa Humblot, Adèle Herteau
Chouette : Blanche
Voix : Christine Rebet
Coproduction Manif d’art - La biennale de Québec
PANNEAUX PUBLICITAIRES
felix gonzalez-torres
"Untitled", 1991, impressions sur panneaux publicitaires
À la manière d’un virus, une œuvre d’un artiste mythique apparaît sur de multiples panneaux publicitaires dans les rues de Québec dans un silence voulu. Ni discours, ni objectif apparent, ni titre : une image muette sur un support vernaculaire perturbe nos habitudes urbaines. Aucun cartel n’accompagnant ces apparitions, on ne nous dit pas quoi penser, nous sommes livrés à nous-mêmes, dans l’espace public et dans une mémoire intime à la fois. L’exercice, individuel, nous place au cœur de la vie collective et des contagions qui l’ont affectée ces dernières années.
© © Estate Felix Gonzalez-Torres, courtoise de la Fondation Felix Gonzalez-Torres
Projects 34: Felix Gonzalez-Torres. The Museum of Modern Art (MoMA), New York, NY. 16 May – 30 Jun. 1992.
Photo : Peter Muscato
PARC-DE-L’ARTILLERIE
françois morelli
le somnambulle, 2005-2023, métal, bois
François Morelli réactive le dispositif visuel d’une performance réalisée en 2005 sur un lac gelé au Québec. Deux lits superposés parcourus par une longue nasse en bois – un verveux – font référence aux conditions de vie des journaliers de l’industrie du bois au Québec, comme aux arbres qu’ils doivent exploiter. L’assemblage qui en résulte nous renvoie à la fois aux corps des travailleurs, à la précarité de leur repos, à celle des forêts. Le titre nous alerte sur le retard des réactions humaines face à l’épuisement des ressources, comme si nous dormions debout au lieu d’engager les changements qui s’imposent.
© François Morelli
Terrasse du Chevalier-de-Lévis
laure tixier
Suspendre, 2024, béton teinté dans la masse
Face à Québec, en surplomb du fleuve, Laure Tixier pose l’archétype du refuge et de l’abri avec deux formes de maisons élémentaires. Elles sont en béton, le matériau de la modernité extractive, adouci par deux teintes du monde végétal. À l’échelle d’un corps, elles sont dénuées d’ouverture. Elles contrastent avec le groupe de maisons qui nous attend dans l’espace Regart. Froid et chaud, fermé et ouvert, résistant et souple, abstrait et décoratif, visuel et sensoriel : les deux installations parlent du corps et des constructions que nous lui offrons. Elles se répondent et redistribuent différentes propriétés architecturales et sensibles. Tixier expose dans cet aller-retour une question plus brûlante que jamais et qui concerne son travail, celle de l’exclusion et de l’accueil.
© Potager, 2016 © Benjamin Caillaud - Biennale Amers Olerons
JARDIN DES GOUVERNEURS
magali hébert-huot
abrité-snug, 2024, arbres, résine, polyuréthane, sangles
Hébert-Huot détourne l’une des multiples formes de protection des arbres – contre le froid ex- trême ou la sécheresse, les maladies, les attaques humaines ou animales – en cernant les troncs des ormes d’Amérique de ceux de jeunes conifères dépouillés de leurs branches. Des branchages artificiels de couleur fluorescente ajoutent à l’hybridité du dispositif. L’association entre espèces et âges ainsi qu’entre artefacts et végétaux lie un geste protecteur aux questions de la diversité et du genre, qui traversent la démarche
de l’artiste.
© Untitled (Swinging Bundie Yellow), 2018. Mousse à expansion, corde, impression 3D © Magali Hébert-Huot
Place d’armes
paul cox
morphée, 2024, bois, acrylique
Paul Cox dresse une forêt artificielle et paradisiaque dans les arbres d’hiver. Elle est constituée de châssis de bois découpant chaque fois la silhouette d’un pavot géant, selon une technique empruntée aux décors de théâtre. Le pavot est un pharmakon : à la fois remède, poison et bouc émissaire. Puissant somnifère, sa culture, sa circulation et son commerce conditionnent une part du contexte géopolitique actuel. Des artistes en ont aimé les effets narcotiques, il a des vertus antidouleur et il fournit également l’huile d’œillette, un liant pour la peinture. Le titre nous renvoie à Morphée (morphologie, métamorphose…), le dieu grec des rêves, dont le pavot est un des attributs.
EXPOSITION ITINÉRANTE
suzanne lafont et les étudiant·es de l’université laval
Bureau des intempéries. Office des travaux littéraires, 2023
Suzanne Lafont a proposé à six étudiant.es de l’École d’art de l’ULaval de participer à la biennale sous l’appellation Bureau des intempéries. Office des travaux littéraires. Les élèves se sont approprié une identité fictive et contraignante, celle de bureaucrate, pour réfléchir à la décroissance. Dans une esthétique administrative, chacun.e incarne un personnage sur un badge. Rassemblées sur un premier panneau, ces « cartes d’identité » sont multipliées par quatre sur le suivant et ainsi de suite jusqu’au dixième et dernier panneau devenu illisible. Avec humour, les étudiants passent par la multiplication pour signifier la décroissance, l’improductivité et l’effacement des identités administrées.
© Suzanne Lafont, Camille Lavoie Beaulieu, Charlotte Larouche, Léanne Lefebvre, Rosalie O'callahan, Phile Després et Stevie Stevenoot
Parc de la francophonie
yann pocreau
Détours, 2023 - 2024, projection sur mur de glace
Une sélection dans un corpus de plus de 200 diapositives vernaculaires défile sur un mur de glace : photographies de paysage, de voyage et de famille, effets d’abstraction ou photos ratées. Le défilement associe d’une à trois images, selon un système aléatoire. Le mur devient un écran qui évoluera jusqu’à la fin de la biennale; il absorbe les images ou les brouille, ajoutant à l’arbitraire de leurs rencontres. Ces dernières produisent des échanges entre les images et forment d’éventuelles amorces narratives, des microrécits. En les regardant, nous pouvons à notre tour y projeter notre propre mémoire, nos fictions.
© Yann Pocreau, Détours, 2023